
30 Avr La mobilité : les enjeux d’une destination « slow tourisme »
La mobilité : une interaction avec le monde, une exploration de l’altérité et de soi-même
Depuis la Seconde Guerre mondiale, notre société s’est profondément ancrée dans une culture de la mobilité. En France, chaque individu se déplace en moyenne entre 3,5 et 4 fois par jour. Cette mobilité est indissociable de notre liberté, qu’elle soit quotidienne ou touristique. La mobilité ne se réduit plus à une simple question de distance parcourue, mais devient une manière d’interagir avec le monde, une exploration de l’altérité et de soi-même. C’est la raison pour laquelle la mobilité douce repose sur une notion fondamentale : voyager de manière respectueuse de l’environnement. C’est pourquoi elle privilégie des modes de déplacement qui réduisent l’empreinte écologique de chaque usager. C’est une mobilité soutenable, qui par nature englobe l’idée que toute l’économie doit être viable, tant pour l’environnement que pour l’humain. Dans le fond, elle garantit que les déplacements humains soient effectués de la manière la plus viable possible pour l’écosystème.
Mais ne nous y trompons pas. Si près des deux-tiers des Français expriment le désir de trouver des alternatives plus écologiques à leurs modes de déplacement, ils se déplacent encore très majoritairement, notamment durant leurs périodes de congés, en transport routier et aérien. L’usager demeure un paradoxe vivant, animé par des engagements philosophiques, mais confronté à la réalité. La mobilité met en lumière les disparités économiques, sociales, démographiques et culturelles. Si le transport ferroviaire connaît également une croissance, en témoignent les années records en termes de résultats financiers de la SNCF en 2023 et 2024, la dégradation du service régulièrement observée sur les lignes secondaires (sans compter les nombreux retards sur les lignes TGV) et l’augmentation du prix des billets, ne contribuent pas à faire la meilleure des publicités pour ce mode de transport réputé être vertueux et alternatif. L’un des défis majeurs est de garantir à ceux qui ont moins de ressources – près de 40% des Français ne partent ni en week-end, ni en vacances – la possibilité d’être mobiles et d’accéder aux loisirs. Le coût du transport, notamment ferroviaire, reste un obstacle majeur. Pour rendre la mobilité plus accessible, il est impératif que les pouvoirs publics et les collectivités agissent en faveur de tarifs abordables et de services alternatifs simples.

La mobilité pour explorer la proximité
Si dans l’imaginaire collectif, le voyage a toujours été associé à l’exploration du bout du monde, la mobilité touristique est d’abord celle de la proximité. Nous sommes à un tournant historique dans notre relation à l’environnement et aux vacances. Avec l’évolution des pratiques sociétales, des horaires de travail, et l’émergence de l’intelligence artificielle, nous assistons à une refonte du travail dans les entreprises et les collectivités. Comme le souligne Jean Viard : « Auparavant, c’étaient les travailleurs qui partaient en vacances, demain ce seront les vacanciers qui partiront au travail. » En fin de compte, il est peut-être temps de repenser notre organisation sociale pour favoriser un changement dans nos habitudes de consommation et de mobilité.
Alisée Pierrot, fondatrice de Mollow, une plateforme collaborative dédiée aux voyages en train, explique par exemple que les Alpes françaises sont « accessibles en train de nuit depuis chez vous ! » La mobilité touristique permet de cultiver ce que Jean-Didier Urbain appelle « la saveur de l’inattendu ». Dans un monde où la technologie nous pousse à vouloir tout contrôler et à éliminer les incertitudes, il est facile d’oublier que le véritable voyage réside peut-être dans la confrontation à l’inattendu. Le slow tourisme incarne cette idée, mettant en avant la lenteur, la connexion entre l’urbain et le rural, ainsi qu’un tourisme axé sur l’agriculture et la culture locale. Après le confinement, les destinations qui ont connu un succès fulgurant étaient celles qui offraient une réelle reconnexion avec la nature et des valeurs authentiques. Le Morvan et le Jura, par exemple, ont été les lieux privilégiés, incarnant une sorte de revanche des destinations auparavant réputées moins prisées voire parfois méprisées.
Un temps de voyage enrichi du temps perdu
Il parait essentiel d’engager une réflexion sur la capacité des collectivités à obtenir davantage d’autonomie dans leurs décisions et dans le financement frugal de projets d’infrastructures ou de services de mobilités. Surtout à l’heure de la suppression discrète du Pass rail. La région Occitanie se distingue par son engagement dans la création de nouvelles formes de mobilité : des initiatives de recherche sont en cours pour développer des trains fonctionnant à l’hydrogène. Parallèlement, il existe des offres de transport destinées aux personnes exclues des voyages touristiques, proposant des tarifs abordables allant de 1 à 10 €. Il ne faut pas oublier que le développement durable repose sur trois piliers : l’économie, l’environnement et la société. De nombreuses startup proposent des solutions technologiques par exemple Antidots, un MAAS qui propose une planification des trajets avec calcul des émissions de CO2 ou Loopi, qui propose des itinéraires optimisés combinant différents modes de transport. Il est crucial de promouvoir l’intermodalité dans le secteur touristique. Ces initiatives nécessitent une coordination politique, technique et financière efficace. Mais pas que…
Parce que la question de la mobilité et de l’itinérance, dans une approche « slow tourisme », replace la mobilité comme une partie intégrante du voyage. Jean Pinard m’a fait passer une formule, écrite par Clément Marche, un jeune entrepreneur, celle qui préfère « un temps de voyage enrichi du temps perdu » à un voyage rapide et consommateur en énergies fossiles. Car il faut bien avouer que la mobilité et l’itinérance, indissociables, sont une condition préalable et sine qua non au tourisme. Un postulat mérite d’être rappelé : pas de tourisme sans mobilité et pourtant la mobilité demeure la grande inconnue, l’étape ignorée et souvent associée à une contrainte et un irritant dans la chaîne de valeur. Et pourtant, être mobile, à n’importe quelle vitesse, surtout la plus lente, c’est la garantie d’aller vers la rencontre, vers le mouvement, vers l’altérité… Une vision « slow » permet d’affirmer que la mobilité, c’est d’abord et avant tout prendre le temps de se reconnecter au voyage et d’imaginer un nouvelle forme de Grand Tour.

Les enjeux « mobilité » d’une destination « slow tourisme »
Le Slow Tourisme Lab a organisé à l’automne 2024 au Château de Vaux les 11èmes Francophonies de l’innovation touristique autour du thème « le voyage agriculturel ». Plusieurs thématiques y ont été abordées dont celle de la mobilité. Quatre enjeux ont été identifiés en la matière.
Le premier est celui d’avoir une « une vision holistique » des mobilités à l’échelle d’une destination slow, c’est-à-dire d’intégrer la notion d’un « ailleurs proche » qui permettrait à la fois de repenser la notion de distance, de travailler réellement sur la proximité et de qualifier les derniers kilomètres qui sont souvent les « trous dans la raquette » en matière d’accessibilité des zones lointaines ou des destinations rurales. Cette vision holistique doit également intégrer les changements sociétaux, notamment celui contemporain du passage de l’ère de la possession à celle de l’usage et accepter l’idée qu’une offre de transports, forcément multimodale et permettant l’accès facile aux modes doux, est forcément une offre destinée à tous, habitants comme visiteurs.
Le deuxième est celui de l’épure. Autrement dit, de faire avec, d’optimiser l’existant et d’abandonner l’idée d’investissements lourds, à la fois en termes de finances, d’endettement mais aussi de coût écologique. « Back to the basis » pourrait dire ! Un retour aux fondamentaux en en finissant vraiment avec les silos (combien de fois ai-je entendu cette affirmation), qu’ils soient organisationnels et administratifs (les fameuses limites administratives qui superposent les compétences et finissent en incompétences). Un retour aux bases qui mettrait le client ou l’usager au centre du projet avec notamment un travail de fond sur la notion de rupture de charge et avec le report modal comme objectif fondamental. C’est d’ailleurs dans cette optique que le Slow Tourisme Lab a été lauréat en 2022 de l’AMI « Plateformes d’appui à l’innovation et à l’expérimentation touristique » du Plan Destination France pour un projet à Vendeuvre-sur-Barse et une offre de mobilité montée en partenariat avec la startup Clem’, plateforme pour l’autopartage de véhicules électriques. Un retour qui nécessiterait une simplification et une harmonisation, je n’ose écrire une mutualisation des informations entre destinations et opérateurs…
Le troisième enjeu porte sur le « réenchantement de l’offre », même si l’expression peut paraitre galvaudée tant elle a été utilisée et parfois martyrisée depuis de longues années. C’est transformer le temps de mobilité en un temps de « mobilité heureuse », « faire d’un temps subi un temps choisi » et contribuer à une nouvelle mise en récit. Pour les amoureux de l’histoire, cela équivaut en quelque sorte à vivre pleinement le temps du voyage (quelqu’en soit le mode doux et lent), à « expérientialiser » le temps de la mobilité. Bref à revenir aux bases de ce que fut le Grand Tour pour permettre la rencontre, sans idéaliser ce que fut l’origine du tourisme. Le Grand Tour ferroviaire en Suisse en est un exemple. Les destinations françaises pourraient s’en inspirer pour imaginer un nouveau Grand Tour, par exemple avec un train culturel, première étape de ce voyage « agriculturel ».
Le quatrième enjeu pose la question de l’organisation et de la « mobilité comme un vrai vecteur de rencontres ». Il vise à faire émerger les formes opportunes de coopérations locales, en redéfinissant la place des pouvoirs publics, en travailler davantage sur les réseaux et les solidarités, en intégrant l’ensemble des secteurs formels et informels. A l’image des Groupements Agricoles d’Exploitation en Commun (GAEC), le temps est sans doute venu d’imaginer des sortes de GMEC de la mobilité, permettant de réunir et de mettre en commun des véhicules et des supports de mobilités de toutes sortes dans des périmètres de proximité. A l’image des travaux de Bruno Latour sur nos manières d’habiter le monde, nos modes d’existence à l’échelon local, sur la nécessité de dresser un inventaire de nos interdépendances et de co-construire une vision commune du monde. Les mobilités peuvent et doivent constituer la base de nouvelles coopérations et de dépassement de fonction.
Prochain article : le 20 mai 2025
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